Transplantation
hépatique et VIH, la fin d'un tabou : entretien avec le Dr Cyrille
Feray
Dix
questions à ...
Cyrille
Feray est médecin au Centre Hépato-Biliaire de l'hôpital
Paul Brousse, à Villejuif. Son activité l'amène à
suivre des personnes souffrant d'une hépatite virale chronique,
d'une cirrhose, ou d'un cancer du foie. Il s'occupe notamment des patients
bénéficiant d'une transplantation hépatique.
Il
est par ailleurs directeur de recherche à l'INSERM : il y dirige
une équipe de recherche sur le VHC.
hepatata
:
Les personnes coinfectées par le VIH et une
hépatite ont aujourd’hui la possibilité de recourir à une greffe du foie
lorsque leur état le justifie. Où en est le centre hépato-biliaire de
l’hôpital Paul Brousse par rapport à cette avancée significative ?
Dr
C. Feray : Nous avons transplanté
7 personnes en état terminal, c'est-à-dire qu'elles présentaient
une insuffisance hépatique très sévère dont
l'issue était fatale. Après la greffe, sur ces sept patients,
une personne souffre d'une complication encore difficile à caractériser
; une autre est décédée ; les cinq autres personnes
vont bien. Cette nouvelle est importante. Il est donc encore trop tôt
pour tirer des conclusions formelles puisque nous avons, au maximum, un
recul de deux ans. Mais ces premiers résultats nous permettent
d'espérer.
Nous
avons malheureusement
accompagné
un nombre bien plus important de patients VIH porteurs de maladies hépatiques
graves qui sont morts dans l'attente d'une greffe ou même sans avoir
pu être inscrits auprès de l'Établissement Français
des Greffes.
hepatata
:
Les patients VIH/VHC greffés
supportent-ils bien un traitement par peg-IFN après la greffe ?
Dr
C. Feray : Sur les deux patients qui ont été traités, un a arrêté
le traitement pour des raisons d'intolérance. Le deuxième
patient supporte parfaitement le traitement qui est très efficace par
ailleurs : Il est en effet sous interféron depuis 16 mois afin
d'écarter une réinfection du greffon. On a observé
chez lui une disparition précoce du VHC circulant dans le sang. Son traitement
est efficace. Cela signifie qu'il faut probablement traiter la réinfection
du greffon par le VHC très tôt.
hepatata
:
Quelle est la complication
la plus redoutable ?
Dr
C. Feray : De façon générale,
ce sont les lésions sévères du greffon dans les semaines suivant la transplantation
que nous redoutons le plus. Certaines sont en rapport avec une récidive
du VHC, et d'autres sont d'origine obscure parce qu'elles peuvent être
mêlées (récidive de l'hépatite virale, toxicité
médicamenteuse, rejet immunitaire du greffon).
hepatata
: Ces patients retrouvent-ils une qualité de
vie comparable à celle qui était la leur avant l’hépatite ?
Dr
C. Feray : Pour les patients qui
sont candidats à la greffe, la question essentielle est de survivre
à une insuffisance hépatique profonde ou un cancer du foie. La
transplantation est d'abord une démarche très volontaire
de la part d'une personne qui a une espérance de vie réduite. C'est beaucoup
plus qu'un traitement de l'hépatite C. Il s'agit d'un sauvetage.
Néanmoins ce sauvetage peut être extraordinairement efficace
et quand tout va bien, la qualité de vie du patient peut approcher
celle qu'il connaissait avant sa maladie hépatique, au prix d'un
suivi extrêmement serré et de nombreuses prises médicamenteuses.
La
force de caractère impressionnante et la très grande motivation
des patients que nous avons transplantés leur font supporter les aléas
des traitements. Ceci explique peut-être qu'ils jugent positivement leur
qualité de vie, malgré le traitement par interféron qui
pourrait contrarier ce jugement.
Mais
en raison des contraintes thérapeutiques après la greffe,
la transplantation peut être un cauchemar pour des personnes psychologiquement
plus vulnérables, sous l'emprise d'une addiction (alcool, drogues),
peu habituées à un régime de vie qui comporte des
interdits nécessaires pour la survie.
hepatata
: Quels
sont les critères d’inclusion et d’exclusion pour les personnes VIH dans
l’indication à la greffe ?
Dr
C. Feray : Il existe d'abord des indications
et contre-indications qui sont communes à tous les patients.
Une maladie très avancée et irréversible du foie avec une probabilité
très grande de décès dans les deux ans est une indication à la
greffe.
Le cancer du foie peut être une indication à la transplantation,
lorsque son évolution est encore circonscrite et lorsqu' aucun
autre geste efficace ne peut être tenté.
Il existe des contre-indications. Elles tiennent compte de ce qui met
gravement en péril la réussite de l'opération.
Il peut s'agir d'une dépendance à l'alcool qui n'aurait
pas été résolue dans les douze derniers mois, de
cancers, de troubles cardio-vasculaires ou neurologiques sévères ou évolutifs.
Une dénutrition extrême, un âge très avancé,
la plupart des infections actives (dont la réplication active du virus
de l'hépatite B) constituent aussi des contre-indications. De la même
façon, il ne serait pas raisonnable de proposer une greffe à
un patient dont la souche VIH serait résistante à toutes
les thérapies.
La réplication active du VHC n'est pas une contre-indication car
la récidive du virus, du moins chez des patients sans VIH, ne diminue
pas ou peu la survie après transplantation.
De manière générale, la pénurie de greffons conduit à proposer
une transplantation aux patients qui ont des facteurs de survie favorables.
A
ces critères s'ajoutent des questions spécifiques aux personnes infectées
par le VIH. Ces questions auront leur réponse dans les années à venir
au travers d'essais thérapeutiques comme celui mené à Paul Brousse. Leur
objectif est en effet de déterminer la faisabilité de la transplantation
hépatique chez les personnes VIH+. Ils nous permettront de mieux définir
les facteurs de bonne réponse à une transplantation. Il
faut par exemple affiner notre connaissance des toxicités médicamenteuses
lorsque les anti VIH, les anti VHC et les traitements anti-rejets sont
associés. Il faut évaluer également la sévérité
de la récidive du virus de l'hépatite C, l'efficacité du
traitement anti-VHC, les interactions entre les traitements immunosuppresseurs,
le VIH et le VHC.
hepatata
:
Que dire du critère de "l’antécédent de pathologie classant
SIDA " s'il est intervenu avant 96 et s'il est aujourd’hui résolu
?
Dr
C. Feray : La pénurie de greffons est une contingence
incontournable, qui incite à donner les greffons aux patients ayant le
meilleur pronostic de survie après la greffe.
Étant donnée cette pénurie, il est normal de commencer le programme
chez les personnes VIH+ en excluant les patients classés SIDA. Mais il
faut préciser un point important. Le protocole ANRS Thevic, où
figure l'exclusion des patients classés SIDA, est un protocole investigatif
et non thérapeutique. Il consiste à analyser au sein d'un groupe homogène
de patients coinfectés sans SIDA les variables virologiques, immunologiques
et pharmacologiques et leurs rapports avec les nombreuses variables cliniques
de la transplantation.
Par ailleurs, nous avons déjà commencé un programme
de transplantation chez les coinfectés, avant la validation de
ce protocole investigatif (7 Transplantations hors protocole ANRS). Nous
maintenons ce critère (VIH sans SIDA) pour le protocole ANRS, mais nous
sommes parfaitement ouverts à toute éventualité hors protocole.
hepatata
: Peut-on espérer
que la greffe laisse un jour la place à des thérapies chimiques qui proposeraient
une réversibilité de la cirrhose ?
Dr
C. Feray : Il faut savoir ce qu'est un
foie gravement cirrhotique (ictère, ascite, coagulation effondrée).
Le problème qui se pose à nous est l'architecture du foie qui est
irréversiblement détruite notamment dans sa vascularisation. Ce foie représente
de plus un risque très important de cancérisation. L'avantage de la transplantation
est d'enlever tout le foie malade (hépatectomie totale).
Les cirrhoses compensées (sans ascite ni ictère ni coagulation basse),
qui ne sont pas des indications de transplantation, peuvent être partiellement
réversibles ou stabilisées pendant de longues périodes quand la cause
est arrêtée (arrêt de l'alcool , efficacité d'un traitement
antiviral). C'est
clairement la stratégie réaliste qui limite heureusement les besoins
de transplantation à l'heure actuelle.
Il est possible que l'on parvienne un jour à domestiquer les cellules
ou hépatocytes. Mais pour le moment, ces thérapies n'existent pas.
Par
défaut, il faut dépister les patients et les traiter (ou essayer)
avec beaucoup d'énergie avant qu'il ne soit trop tard :je connais des
patients VIH-VHC guéris du VHC après traitement.
hepatata
: Où
en sont les programmes biogénétiques de reconstitution du foie à partir
de structures embryonnaires, à l’instar des expériences de "tissue
engineering "du professeur Joseph Vacanti sur le remodelage
tissulaire des oreilles, du coeur à Harvard Medical School of Boston
?
Dr
C. Feray : Le foie représente pour des raisons
anatomiques et fonctionnelles le défi le plus difficile pour les raisons
expliquées plus haut. Il faut se méfier des effets d'annonce à destination
d'actionnaires. Il est néanmoins probable que les cellules souches somatiques
ou embryonnaires seront une voie thérapeutique à moyenne échéance
pour la peau, les cartilages ou certaines cellules musculaire ou nerveuses.
hepatata
: Afin d'éviter
le recours ultime à la greffe, pouvez-vous en quelques mots évoquer
ce qui vous paraît essentiel dans la prise en charge d'une personne
coinfectée VIH/hépatite(s) ?
Dr
C. Feray : Certains points m'apparaissent en
effet essentiels.
- connaître sa sérologie pour les hépatites
- se vacciner contre le VHB et le VHA, après vérification des sérologies
des hépatites
-
consulter un hépatologue lorsque la personne est positive au dépistage
du VHB ou du VHC
- s'abstenir de boire de l'alcool si on est porteur du VHB ou du VHC
- proposer autant que possible et le plus tôt possible les traitements
anti-hépatite,
- en cas de transplantation hépatique, connaître la possibilité d'un donneur
familial.
Cette
prise en charge doit évidemment tenir compte de l'évaluation
de la fibrose du foie lorsque la personne est VHB+ ou VHC+. Concernant
la biopsie, elle doit être faite par un spécialiste habitué au geste et
sous échographie. Or ce n'est pas toujours le cas et la réputation
de la biopsie, à tort, n'est pas bonne dans le public.
D'autre part, la biopsie ne doit pas constituer un frein à la thérapie
; or certains hépatologues l'exigent avant tout traitement. L'idée du
Fibrotest® est dans ce sens excellente. Le but de ce test sanguin
est d'approcher les performances de la biopsie, considérée comme référence.
En fait la biopsie n'est pas une référence elle même absolue. Il peut
exister une hétérogénéité des lésions hépatiques ainsi qu'une hétérogénéité
des médecins (anatomopathologistes) lisant ces biopsies.
Le point important est de répéter l'évaluation de la fibrose du foie,
en l'absence de traitement ou en cas de récidive après un traitement.
Cette évaluation peut se faire soit par biopsie soit ,peut-être
dans le futur, par une combinaison de marqueurs sanguins du type Fibrotest®.
Cette combinaison devra être validée spécifiquement dans la population
VIH car l'hépatite C y est clairement différente et probablement plus
grave.
hepatata
: Les
patients habitués à une relation fondée sur la confiance, l'information
et la connaissance personnelle de leur dossier, sont également
étonnés du retard de certains services d'hépatologie dans l'accueil qui
leur est réservé : qu'en pensez-vous ?
Dr
C. Feray : L'accueil de l'hôpital public est
globalement nul, malgré son coût (une chambre dans un service hyperspécialisé
équivaut financièrement à une nuit au Crillon).
La communauté hépatologique est en retard sur le point de l'accueil. A
la différence de la communauté médicale spécialisée dans le VIH, les hépatologues
s'occupent de patients sans doute moins organisés ou revendicatifs.
L'accueil de la médecine non-hospitalière est notoirement plus
chaleureux. Mais pour des raisons qui m'échappent, la prise en charge
des traitements anti-hépatites qui concernent souvent des patients qui
vont bien est centralisée dans les CHU. Ceci explique en profondeur
ce que vous décrivez. L'hôpital public devient un goulot d'étranglement
obligatoire : consultations interminables, faible nombre de médecins chevronnés
souvent en congrès ou chercheurs, soignants en sous nombre...
En retour, les confrères libéraux qui gèrent par ailleurs des thérapies
bien plus complexes se découragent et participent peu à la prise en charge
des centaines de milliers de cas d'hépatites B ou C existant en France.
Le problème de l'accueil que vous soulevez est donc le reflet direct d'un
problème plus vaste.
hepatata
: Merci
beaucoup.
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