Entretien avec le Pr Christian Trepo : Hépatites et stratégies thérapeutiques (2)

Dix questions à ... Christian TREPO

Le professeur Christian TREPO travaille à l'Hôtel-Dieu de Lyon. Il dirige le laboratoire U271 de l'INSERM, et s'intéresse aux virus des hépatites, aux retrovirus humains et aux pathologies associées. Ses thèmes de recherche s'appliquent donc au Sida, aux VHB, VHC, VHD. Il travaille notamment sur l'immunothérapie spécifique, les antiviraux, la vaccinothérapie, les vaccins génétiques, et la réplication virale.

hepatata : Lors de la Conférence de Presse sur le nouveau plan "hépatites Virales", M. Bernard Kouchner a annoncé des mesures de renforcement. Quelles perspectives sont proposées ?

Pr C. Trepo : Pour l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB), Il est très important qu’il ait été précisé qu’une relance éventuelle des programmes de vaccination soit envisagée en fonction des conclusions du rapport DARTIGUE. Pour l’hépatite B, l’ADEFOVIR bénéficie d’une Autorisation Temporaire d'Utilisation (ATU).
Pour l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC),
très concrètement, il est annoncé que l’INTERFERON Pégylé sera dans les pharmacies sous peu.
Il est aussi annoncé que des renforcements des activités des Pôles de Références et des programmes d’éducation sanitaire seront mis en œuvre.

Les autres actions du programme précédent sont supposées être poursuivies. Il est démontré, qu’au moins jusqu’en 2010, il y aura une forte augmentation (x3 à 5) des conséquences de l’hépatite C en terme de cirrhose, décompensation, cancer, formes évoluées diverses et besoins de transplantation hépatique.
Par ailleurs, il est également certain que les avancées thérapeutiques vont encore augmenter la proportion des patients à traiter.

Hepatata : Allons-nous vers les multithérapies dans la lutte contre les hépatites chroniques ?

Pr C. Trepo : La réponse est OUI sans aucun doute pour l’hépatite B puisqu’il apparaît déjà que la LAMIVUDINE seule n’est pas susceptible de guérir les patients compte tenu des résistances, que l’INTERFERON  a beaucoup d’échecs et de contre-indications en particulier dans les formes évoluées ou lorsque la réplication virale est importante.

Les associations INTERFERON/LAMIVUDINE ont été étudiées : il faut absolument que d’autres études soient mises en œuvre car des résultats préliminaires encourageants existent. Il faut absolument militer pour des multithérapies bithérapies telles que INTERFERON/ADEFOVIR ou INTERFERON/LAMIVUDINE mais aussi peut-être des trithérapies comme la combinaison INTERFERON/LAMIVUDINE/ADEFOVIR. De plus, l’arrivée de nouvelles molécules telles que l’ENTECAVIR devrait permettre de stimuler les pluri-associations.
La leçon du VIH est claire.
En ce qui concerne l’hépatite C, la bithérapie INTERFERON/RIBAVIRINE est pour l'instant le traitement standard.

Hepatata : On assiste à une lacune dans la prise en compte institutionnelle des hépatites B chroniques. Qu'en pensez-vous ?

Pr C. Trepo : Vous avez raison d’insister sur l’hépatite B chronique. Il est nécessaire qu’il puisse y avoir une sensibilisation à ce niveau via l’ANRS et l’INSERM.

Hepatata : Le VHD touche 10 000 personnes ; il s'associe au VHB pour susciter de très importantes lésions hépatiques. Les thérapies proposées ne sont pas  efficaces.  Existe-t-il des perspectives thérapeutiques ?

Pr C. Trepo : Le VHD a besoin de la seule protéine d’enveloppe virale du VHB pour se multiplier, il n’a pas besoin d’une réplication réelle du VHB. L’inhibition de la réplication B n’est donc pas suffisante pour empêcher la prolifération du VHD. Il ne faut pas oublier, en effet, que lorsqu’on bloque la réplication du VHB, l’antigène HBs continue à être produit puisqu’il provient du génome viral intégré dans le chromosome hépatocytaire. Il faut donc utiliser des médicaments qui soient susceptibles de bloquer la réplication du VHD elle-même. Seul l’INTERFERON a ce pouvoir jusqu’ici ce qui plaide fortement en faveur d’une multithérapie pour l’infection VHD/VHB et le meilleur candidat serait peut être une bithérapie INTERFERON/ADEFOVIR ou une trithérapie. Le VHD est un virus orphelin et là aussi, il faudrait stimuler la recherche pour soutenir les quelques équipes qui travaillent sur ce virus à Lyon, Tours et Paris.

Hepatata : Peut-on envisager un traitement qui permettrait d'éradiquer le VHB ?

Pr C. Trepo : Le VHB s’intégre dans le génome hépatocytaire comme le VIH dans les lymphocytes : Il est donc beaucoup plus difficile à éradiquer que le VHC. Comme évoqué ci-dessus, le traitement de l’hépatite B doit associer nécessairement plusieurs molécules assurant l’immunité tel que l’INTERFERON et plusieurs inhibiteurs de la réplication. Il existe déjà plusieurs enzymes qui permettent de prédire une synergie de ces associations. l’ADEFOVIR paraît prometteur.

Il existe également des protocoles d’immunothérapie qui émergent et on peut espérer que ceux basés sur la vaccination thérapeutique avec de l’ADN seront les plus prometteurs. Comme il s’agit d’une méthode révolutionnaire, les applications cliniques seront lentes car il y aura sûrement des écueils imprévus. Il s’agit d’un avenir à plus long terme.

Hepatata :  Le problème des coinfections VIH/hépatites est une priorité...

Pr C. Trepo : Il s’agit là d’un problème majeur et très compliqué qui n’est qu’en partie abordé et compris.

Une chose est certaine, les co-infections VIH/ virus des hépatites B ou C sont souvent associées à une hépatotoxicité plus importante des antirétroviraux quels qu’ils soient ; les associations DDI, D4T, RIBAVIRINE peuvent poser problème.

La thérapie d’une personne co-infectée doit se faire avec une bonne concertation infectiologue/hépatologue avertis.

La situation est simple (sic) lorsque les infections par le VIH, VHC, VHB n’entraînent pas en elles-mêmes un risque de fibrose. Dans ces cas, il faut se concentrer sur le traitement anti-VIH en faisant attention à l’hépatotoxicité et, grâce au monitoring, la détecter le plus tôt possible pour qu’elle ne risque pas d’être dangereuse, voire fatale. C’est probablement la règle la plus importante à promouvoir. De nouveaux essais thérapeutiques doivent être mis en œuvre. Dans le cadre de la co-infection, il est évident que l’INTERFERON Pégylé est beaucoup plus actif que l’INTERFERON classique, tout particulièrement en cas d’infection VIH.

Hepatata : L'écrasement de la charge virale hépatique signifie t-il l'arrêt de la progression de la maladie ? 

Pr C. Trepo : L’arrêt de la réplication du VHB ou du VHC est synonyme d’arrêt de la progression de la maladie. Une inhibition totale n’est cependant pas indispensable avec les virus des hépatites B et C qui sont non cytopathiques. On peut donc bloquer la progression de l’hépatite malgré la persistance de la réplication à condition qu’elle soit à un niveau faible ou qu’on ait créé une situation de désamorçage du conflit immunovirologique, comme cela peut se faire avec la RIBAVIRINE qui réoriente les cytokines vers le profil TH1. Les hépatites sont « des équations du deuxième degré » mais en cas de double infection, nous passons au troisième degré …

Hepatata : Existe-t-il des thérapies qui permettraient de faire régresser une cirrhose ?

Pr C. Trepo : La nouveauté est que non seulement la fibrose régresse mais que la cirrhose récente peut également régresser. Ceci doit, bien sûr, être la source d’une incitation au traitement chez tous les patients dont le score Métavir est à F3, ceci est vrai pour le VHB comme pour le VHC. Les médicaments actuels ont permis de la documenter. Il s’agit là d’un nouvel espoir très fort pour les patients. L’INTERFERON est particulièrement actif puisque même s’il n’agit pas par son mécanisme antiviral, il peut agir par son mécanisme antifibrosant via l’inhibition du TGF Bêta.

Hepatata : Une consommation d'alcool risque t-elle de diminuer l'efficacité de la thérapie ?

Pr C. Trepo : Les études montrent qu’il y a un danger majeur lié à l’alcoolisation en cas d’infection par le VHB ou le VHC. Il faut insister absolument pour que la consommation d’alcool soit minimale et non continue. Elle ne doit en aucun cas excéder l’équivalent de 10 g d’alcool pur par jour c’est à dire deux verres de vin, il faut proscrire tous les alcools forts (whisky, pastis, etc.) impérativement.

Hepatata : Que pensez-vous de certaines attitudes alimentaires ou d'hygiène de vie qui pourraient favoriser la régression de la fibrose ou de la cirrhose?

Pr C. Trepo : L’intérêt de la diététique n’est pratiquement pas exploré dans l’hépatite  C mais on sait déjà que la stéatose, la suralimentation et le surpoids sont des facteurs de très mauvaises réponses aux traitements, l’explication n’en est que partiellement connue. On peut s’attendre à ce que de gros progrès soient faits en ce sens puisque « le lièvre est levé » …

Il n’y a, à ma connaissance, aucune étude factuelle sur le rôle des cholagogues ou cholérétiques, on ne peut donc pas les recommander. Par contre, tout ce qui est susceptible d’améliorer le confort d’un malade ou de pallier une fragilité individuelle, est, bien entendu, souhaitable. On ne connaît encore pratiquement rien des « alicaments » antifibrosants ou antiviraux. Par contre, il est probable que les régimes antioxydants seront favorables.

Hepatata : Merci.