Entretien
avec le Pr Stanislas Pol : Hépatites et stratégies thérapeutiques
Dix
questions à ... Stanislas POL
Le
Pr Stanislas Pol travaille au service d'hépatologie de l'hôpital
Necker. Il participe activement à la lutte contre les hépatites
et mène des recherches sur l'immunothérapie.
hepatata
:
Lors de la Conférence de Presse sur
le nouveau plan "hépatites Virales",
M. Bernard Kouchner a annoncé des mesures de renforcement
dans le domaine des thérapeutiques. Concrètement, quelles perspectives
sont proposées ?
Pr S. Pol :
L'élément bien sûr le plus marquant est d'ordre financier puisque 2
millions d'Euros seront ajoutés à l'enveloppe "Hépatite C".
Le plan propose un meilleur accès au dépistage et à la prise en charge
des patients. Sur le plan thérapeutique on envisage bien sûr le développement
des multithérapies antivirales et notamment des trithérapies dont l'efficacité
doit être comparée aux bithérapies dont nous disposons actuellement. A
moyen terme vont être développées de nouvelles stratégies thérapeutiques
utilisant des inhibiteurs de protéase, des ribozymes ou d'autres stratégies
du futur.
Hepatata
:
Vous évoquez les
multithérapies dans la lutte contre les hépatites chroniques
: quelles sont-elles ?
Pr
Pol : Très clairement, l'évolution se
fait vers des multithérapies.
Ceci a été particulièrement bien illustré pour le virus de l'hépatite
C par la combinaison de l'interféron à libération prolongée (connu
aussi sous le nom de PEG-interféron), de la ribavirine et de l'amantadine.
Pour le virus de l'hépatite B, il est évident qu'il faut aussi
développer ces stratégies combinées en associant de façon simultanée ou
séquentielle différents analogues nucléosidiques (lamivudine, adéfovir)
et l'interféron. Ces multithérapies pourront bien sûr être proposées
aux patients coinfectés.
Pour ce qui concerne le
virus de l'hépatite Delta,
les espoirs sont moindres puisque jusqu'à présent seul l'interféron a
montré son efficacité. Enfin, parallèlement au développement des stratégies
antivirales, il ne faut pas oublier les stratégies d'immunothérapies
utilisant par exemple l'Interleukine 2 ou l'Interleukine 12 et la vaccinothérapie.
L'ensemble de ces stratégies pourra être combiné.
Nous développons enfin des stratégies antifibrosantes qui seront parallèles
aux stratégies antivirales.
Toutes ces thérapeutiques du futur doivent être évaluées et je crois qu'il
est encore trop tôt pour générer un espoir concret chez les patients.
Hepatata
:
On assiste à une lacune dans la prise en compte
institutionnelle des hépatites B chroniques. Les associations demandent
que l'on insuffle une réelle dynamique pour motiver les équipes de recherche
: Qu'en pensez-vous ?
Pr Pol : Il
est évident qu'un effort doit être fait pour la prise en charge
diagnostique et thérapeutique de l'infection par le virus de l'hépatite
B. Je crois que le nouveau plan gouvernemental sur les hépatites virales
répond à cette question puisque récemment le Ministre délégué à la Santé,
lors de la Conférence de Consensus sur l'hépatite C, a clairement indiqué
qu'il désirait que la thématique virale B soit incluse dans les différentes
institutions (INSERM, ANRS) prenant en charge la recherche pré-clinique
et clinique sur les hépatites virales.
Hepatata
: Le
VHD est méconnu. Il touche 10 000 personnes. C'est un virus qui s'associe
au VHB pour susciter de très importantes lésions hépatiques. Les
thérapies proposées pour le VHB ne sont pas efficaces sur le VHD
: tandis que le VHB est contrôlé, le VHD continue à s'exprimer. Existe-t-il
d'autres perspectives thérapeutiques que l'interféron ?
Pr
Pol : Je ne sais pas si l'on peut dire
que la surinfection Delta a un pronostic plus sévère que la mono-infection
virale B. Les résultats le suggérant sont des anciens résultats concernant
des patients très anciennement contaminés et il est vrai que les multi-infections,
notamment B, Delta et VIH, ont été à l'origine d'une surmortalité d'origine
hépatique dans les années 80, tout à fait marquante, particulièrement
dans les populations usagères de drogue et contaminées par voie
sexuelle. Aujourd'hui nous en voyons beaucoup moins et le seul traitement
disponible est l'interféron.
Je crois surtout que le message principal est qu'il est urgent de renforcer
dans les populations à risques l'information sur la vaccination antivirale
B,
puisque ce virus défectif est dépendant de l'infection virale B.
C'est le meilleur traitement (prophylactique) de l'infection Delta et
des complications hépatiques qui lui sont secondaires.
Il n'y a pas actuellement de perspective thérapeutique autre que l'interféron
pour l'infection virale Delta. C'est une raison de plus pour renforcer
le message vaccinal. Les différentes molécules utilisées jusqu'à présent
n'ont pas montré leur efficacité.
Hepatata
:
Peut-on envisager un traitement
qu permettrait d'éradiquer le VHB, et non plus seulement de suspendre
sa réplication virale, en associant par exemple la lamivudine, l'adéfovir,
le ténofovir et l' interféron-PEG ?
Pr Pol : On
sait que l'interféron est moins efficace sur le virus de l'hépatite B
que sur le virus de l'hépatite C parce qu'il ne permet un arrêt de la
multiplication virale que dans 40 % des cas et une disparition de l'antigène
HBs que dans 10 % des cas. Ceci est principalement lié au mode de réplication
différent du virus et à la virémie très supérieure à celle du VHC. Même
en cas d'éradication virale B, le virus est capable, du fait d'un mode
de réplication proche de celui des rétrovirus, de s'intégrer dans les
cellules de l'hôte et d'exposer le sujet à un cancer du foie d'origine
virale, malgré la disparition de l'infection.
Nous n'avons actuellement aucune donnée valable sur l'efficacité des associations
d'analogues nucléosidiques et d'interféron même s'il est suggéré que probablement
une association lamivudine+interféron soit plus efficace que l'un ou l'autre
des traitements.
Je ne suis pas convaincu que les associations d'analogues nucléosidiques,
qui, sur le VHB, sont plus virostatiques que viricides, modifient complètement
les résultats dans le futur. Cependant, pour diminuer les risques d'échappement,
il me semble nécessaire d'instituer rapidement
ce type de multithérapies anti-VHB.
Hepatata
:
Le problème des coinfections VIH/hépatites est
aujourd'hui une priorité : quels sont les anti-VIH ou les associations
d'antirétroviraux VIH qui vous paraissent les plus hépatotoxiques ?
Comment organiser la thérapie d'une personne coinfectée ?
Pr
Pol : Tous les traitements antirétroviraux
ont une potentielle toxicité hépatique. Les analogues nucléosidiques
sont probablement moins toxiques que les inhibiteurs non nucléosidiques
de la reverse transcriptase, ou que les inhibiteurs de protéase.
Les mécanismes exacts de cette toxicité, en dehors des hépatites
toxiques à la névirapine, restent inconnus. Ils relèvent plus probablement
d'un surdosage du fait de l'hépatite sous-jacente. Ces mécanismes
relèvent également d'une éventuelle restauration
immunitaire : les
lymphocytes devenus plus compétents reconnaissent
les hépatocytes exprimant les antigènes viraux. Cette restauration immunitaire
suscite une réaction au niveau du foie, qui peut être violente.
Il n'y a pas de modèle tout prêt pour organiser le traitement d'un
patient coinfecté. Il faut prendre en compte la balance entre les
risques liés à la maladie VIH et à la maladie hépatique, de façon à décider
des priorités de l'un ou l'autre traitement. Dans certaines situations,
comme une cirrhose avec un déficit immunitaire avancé, on pourra discuter
d'un traitement antiviral C et antirétroviral combiné d'emblée.
Je crois que le progrès principal dans le suivi de ces traitements devrait
venir des dosages médicamenteux pour éviter les surdosages.
Enfin, il existe bien sûr, du fait du cumul des drogues et notamment des
analogues nucléosidiques, des risques d'acidose lactique qui justifient
de renforcer la surveillance de ces traitements.
Hepatata
: L'écrasement
de la charge virale hépatique signifie t-il l'arrêt de la progression
de la maladie ? Y- a- t-il des causes non virales, indépendantes,
à l'évolution d'une cirrhose d'origine virale ?
Pr
Pol : L'arrêt de la multiplication virale
permet d'espérer un arrêt de la progression de la maladie et par là-même
une réduction de la fibrose voire sa disparition. Le foie est en effet
capable de phénomènes de fibrolyse autorisés par l'arrêt de l'activité
de l'hépatopathie. Il est donc impératif d'obtenir une réduction, ou mieux,
une annulation de la multiplication virale qui est génératrice de l'hépatite
chronique, par le biais de mécanismes immuno-médiés. Le contrôle de l'activité
passe donc bien sûr par les traitements antiviraux.
Il
y a en effet des causes non virales indépendantes favorisant l'évolution
de la fibrose au cours des hépatites virales.
Ce sont principalement les surconsommations d'alcool, la surcharge
ferrique (bien que ceci soit discuté) et le surpoids ou les syndromes
de perturbation métaboliques (dysmétabolies) qui sont générateurs
d'une stéatose favorisant la fibrose.
Hepatata
:
Existe-t-il des thérapies ou des projets
de thérapie qui permettraient de faire régresser une cirrhose ?
Pr
Pol : Il existe actuellement des traitements
permettant d'espérer une régression de la fibrose et plusieurs équipes
suggèrent qu'environ 30 % des patients traités efficacement vont avoir
une disparition de leur cirrhose. Le traitement reste principalement
le contrôle de l'activité de la maladie hépatique, qu'il s'agisse des
traitements antiviraux pour les maladies virales ou des traitements immuno-suppresseurs
pour les maladies auto-immunes.
Le contrôle des cofacteurs (alcool, obésité) est essentiel pour
favoriser cette régression.
Des traitements antifibrosants sont disponibles.
Il y a de nouveaux traitements que l'on peut envisager mais jusqu'à présent
nous n'avons pas encore assez de données pour recommander tel ou tel type
de traitement en dehors du contrôle de l'activité notamment par le traitement
antiviral.
Hepatata
:
Si la charge virale du
VHB ou du VHC est contrôlée, peut-on reprendre une consommation d'alcool,
ou celle-ci risque t-elle de diminuer la durée de l'efficacité de la thérapie
?
Pr
Pol : En
cas de traitement en cours, l'alcool augmentant la charge virale,
facteur prédictif de la réponse au traitement, le maintien d'une consommation
me semble tout à fait déraisonnable.
Le problème de l'alcoolisation 'récréative' dépend principalement de sa
régularité. Je crois que l'on ne peut pas contre-indiquer une consommation
intermittente au cours de soirées. Encore faut-il que ces soirées ne soient
pas quotidiennes.
Pour la consommation régulière, il me semble déraisonnable de dépasser
2 verres par jour. Du fait des difficultés pour la plupart des patients
d'obtenir une tempérance réelle, il vaut mieux choisir l'abstinence
au quotidien et une alcoolisation récréative intermittente.
En
cas de contrôle définitif de l'infection virale (associé à une
inactivation de la maladie hépatique puis à une réduction de la fibrose),
on peut envisager, toujours dans le cadre d'une tempérance, de reprendre
une consommation d'alcool. Mais celle-ci doit être retardée par rapport
à l'efficacité du traitement antiviral de façon à permettre au foie de
se régénérer : les mécanismes de fibrolyse qui assurent
le remodelage de la fibrose hépatique sont ainsi préservés.
Hepatata
: Que
pensez-vous de certaines attitudes alimentaires ou d'hygiène de vie qui
pourraient favoriser la régression de la fibrose ou de la cirrhose?
Pr
Pol : Je ne pense pas que des aliments
aient un rôle métabolique réel dans la restructuration des hépatocytes.
Je ne pense pas non plus qu'il y ait de bons ou de mauvais aliments,
dans la mesure où le foie les voit arriver sous forme d'acides aminés,
de glucides et de lipides, sans en connaître l'origine.
La meilleure hygiène de vie pour espérer une régression de la cirrhose
consiste dans l'arrêt de tout cofacteur favorisant la fibrose : alcool,
coinfection virale, médicaments, surpoids.
Hepatata
: Merci.
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