Dix
questions à ... Thierry Poynard
Le
débat autour du Fibrotest et de la biopsie alimente les discussions.
Hepatata s'est entretenu avec le Professeur Poynard, qui travaille activement
à la mise au point du Fibrotest et de l'Actitest.
hepatata
: Quelle était l'intuition scientifique qui
vous a amené à mettre au point la technique du Fibrotest ?
Pr Poynard : J'ai eu l'intuition que
l'on pouvait réaliser quelque chose de sérieux dès
1985. Ces intuitions, je les ai confirmées par des études
parues dans le Gastroenterology de 1991 pour l'alcool avec le test
PGA, et en 2001 dans le Lancet pour le virus de l'hépatite
C avec deux tests : le Fibrotest et l'Actitest.
La biopsie du foie, avec son coté un peu barbare, m'a toujours paru un
examen moyen-âgeux. Cela ne remet pas en cause l'intérêt pour un
hépatologue de connaitre l'état exact du foie (l'histologie). Mais savez-vous
que le critère de jugement absolu est l'analyse histologique complète
du foie, qui est bien sûr impossible en dehors de la transplantation ?
Le problème réside donc dans l'estimation objective du rapport
bénéfice/risque des différentes méthodes d'analyse.
Pour la biopsie du foie le risque n'est pas négligeable avec une
fréquence des complications sévères de 3 pour mille et une mortalité de
3 pour dix mille. Il s'agit en outre d'un estimateur indirect
(sur 15 mm en moyenne) de la réalité histologique.
Le principe de mes recherches diagnostiques depuis plus de 15 ans a été
de trouver des marqueurs non-agressifs de l'état histologique du
foie.
Au tout début, j'ai étudié la valeur diagnostique des transaminases,
des plaquettes, et du taux de prothrombine. Ce type de marqueurs avait
des performances limitées au stade avancé de cirrhose et nécessitait des
analyses hématologiques et de coagulation sur des automates différents.
De plus il n'existe pas de standard international pour la détermination
du taux de prothrombine.
Dans un deuxième temps nous avons travaillé sur des marqueurs très
proches de la fibrogénèse comme l'acide hyaluronique, différents types
de collagène ou d'enzymes associés à la fibrogénèse ou à sa destruction
(collagénases ou leurs inhibiteurs). Mais les valeurs diagnostiques de
ces tests étaient isolément médiocres et même décevantes en combinaison.
Les techniques étaient compliquées avec des quantités circulantes très
faibles dans le sang et des coûts prévisibles élevés.
Dans un troisième temps j'ai donc pensé à utiliser
des protéines à forte concentration dans le sérum, simples à doser et
complémentaires pour leur valeurs prédictives. Trois protéines avaient
ses qualités: l'alpha-2 macroglobuline, l'haptoglobine, l'apolipoprotéine
A1. La combinaison de ces "protéines mémoires" des destructions histologiques,
associées à la bilirubine et à la Gamma GT, permettait d'obtenir d'excellente
valeurs prédictives.
hepatata
: Le fibrotest est-il validé officiellement
pour l'hépatite C ?
Pr Poynard : Le terme "validation
officielle" est une définition internationalement compliquée.
Sur le plan scientifique nous avons publié une étude avec deux
phases prospectives (Lancet 2001).
Une autre étude sous presse (Journal of Viral Hepatitis) à partir
d'un essai multicentrique français a confirmé la valeur diagnostique de
Fibrotest par rapport à une première et une deuxieme biopsie
chez les mêmes patients. La supériorité du Fibrotest par rapport au dosage
de l'acide hyaluronique, considéré jusqu'à présent comme le meilleur marqueur
biochimique de fibrose, a aussi été confirmée.
Trois autres autres études sont terminées et ont confirmé la valeur
diagnostique de Fibrotest : une chez les coinfectés VIH-VHC, une
chez les patients traités par PEG-Viraferon et ribavirine, et une à long
terme (plus de 2 ans de suivi des patients). Ces travaux vont être présentés
prochainement dans des congrès internationaux et sont soumis pour publication.
Nous avons donc la conviction que la phase de validation scientifique
est quasiment terminée.
Sur le plan réglementaire nous voulons mettre sur le marché une automatisation
du Fibrotest et de l'Actitest (son équivalent pour prédire
l'activité), afin de permettre au patient et au médecin d'avoir une
réponse claire sans avoir à faire le moindre calcul. Le développement
de ces deux tests est en cours, avec l'aide du bio-incubateur de l'Université
Paris-5, pour convaincre l'agence européenne et l'agence américaine (FDA)
d'autoriser son utilisation et obtenir un remboursement pour les patients.
L'idéal serait aussi d'obtenir un assouplissement des règles de décision
thérapeutique. La durée de ce développement et la durée de l'analyse
du dossier jusqu'à l'acceptation des agences est imprévisible.
hepatata
: Peut on avancer que le Fibrotest sera validé
pour toute forme de fibrose, pour celles induites par l'hépatite B ou
l'alcoolémie par exemple ?
Pr Poynard : Oui, les marqueurs
étudiés ne sont pas spécifiques à l'hépatite C.
De plus, quelle que soit la cause de la fibrose, les lésions histologiques
sont très proches, surtout lorsque la fibrose s'étend dans le lobule hépatique
et que l'on se rapproche de la cirrhose. Des études similaires à celles
du VHC sont en cours pour le VHB et l'alcool. Les résultats préliminaires
et non encore publiés sont effectivement très encourageants.
hepatata : Quand
pensez-vous pouvoir le valider pour l'hépatite B ?
Pr Poynard : Nous espérons que la
validation scientifique principale sera terminée dans les 12 mois,
avec acceptation d'articles et communications dans les congrès. La validation
règlementaire est toujours longue mais bénéficiera, je l'espère, de la
validation faite pour le VHC.
hepatata
: Peut -on considerer que le Fibrotest évoluera
vers des mesures de plus en plus fines ?
Pr Poynard : Je pense que la combinaison
de marqueurs biochimiques de Fibrose et d'Activité permettra de poser
les indications de traitement de l'hépatite C avec moins de 5% de faux
positifs. Le risque de faux négatifs chez les patients ayant des tests
rassurants sera limité par la répétition des tests tous les 6 mois.
hepatata
: Comment le Fibrotest définit-il
les différents degrés de fibrose ?
Pr Poynard : Le fibrotest garde une
bonne valeur de différenciation entre les différents stades de
fibrose : aux alentours de 0.40 pour une fibrose de stade 2 (F2),
de 0.70 pour une fibrose de stade 3 (F3) et de 0.80 pour F4.
Pour la fibrose extensive (F3 : fibrose de stade 3) et la cirrhose non
décompensée (F4 : fibrose de stade 4), la valeur diagnostique du fibrotest
est excellente avec très peu de faux négatifs ou de faux positifs.
Chez les sujets infectés par le VHC avec une cirrhose décompensée et donc
cliniquement évidente, la biopsie du foie n' a le plus souvent aucun intérêt.
hepatata
: Pensez-vous pouvoir diagnostiquer de manière
correcte les patients qui refusent les biopsies ?
Pr Poynard : Oui. Il ya aussi
une place immédiate pour les patients qui présentent un risque
de complication lors la biopsie (troubles de la coagulation, insuffisance
respiratoire) ou qui sont particulièrement vulnérables (les enfants, les
femmes enceintes).
hepatata
: Quel est l'accueil accordé au fibrotest
par la communauté scientifique nationale et internationale, les médecins
traitants, les hépatologues, les patients ?
Pr Poynard : Mon opinion est forcément
biaisée compte tenu de mon engagement dans cette recherche. Pour l'instant
il existe une forte demande, partout dans le monde, de la part des associations
de patients, des médecins, et des familles. Cela est pour moi un fort
encouragement. Je ne crois pas qu'il faille être extrémiste soit du
"tout biopsie", soit du "tout biochimie". Je crois que ces approches sont
complémentaires. La biopsie aura toujours son intérêt dans les cas
complexes, en particulier lorsqu'il existe plusieurs facteurs de toxicité
hépatique comme l'association virus-alcool-diabète-médicaments.
D'un autre coté il faut écouter nos patients si on veut mieux les prendre
en charge. Les spécialistes hépatologues doivent comprendre qu'une partie
de la population (patients et médecins non spécialistes) a une crainte
de la biopsie. Une récente enquête du réseau hépatite C Auvergne a estimé
à 59% le pourcentage de personnes refusant la prise en charge
de leur hépatite C par crainte de la biopsie du foie. Cela doit compter
pour juger de notre retard dans la prise en charge de l'hépatite C. En
effet, seulement 30.000 personnes ont été traitées en France alors qu'il
faudrait en traiter 300.000... Pourtant, nous avons maintenant des traitements
très efficaces.
hepatata
: Quel est le coût du Fibrotest comparativement
à celui d'une biopsie?
Pr Poynard : Le coût du Fibrotest
en France ne pourra être établi qu'après la fin de son développement et
après les négociations réglementaires éventuelles. Si les éléments
qui composent le Fibrotest peuvent déjà être dosés séparément,
la version commerciale du test comportera en plus un ajustement personnalisé
(âge, sexe), et un controle des standards de qualité, notamment
pour chacune des méthodes de dosage.
Le coût moyen d'une biopsie intercostale, si on tient compte des
hospitalisations (de jour ou de 24 heures) et des complications possibles,
est d'environ 1.500 Euros. Il y aura donc forcément une économie
importante dans la prise en charge et la surveillance des hépatites.
hepatata
: En marge, pour conclure et pour
répondre aux interrogations générales des patients,
évoquons aussi un peu les traitements : quelles sont vos plus récentes
observations sur les régressions de cirrhose et de fibrose ?
Pr Poynard : Les deux conditions principales
pour faire régresser la fibrose sont communes à toutes les maladies du
foie : avoir un traitement efficace contre les causes de la fibrose et
s'y prendre le plus tot possible.
La plus belle démonstration est celle obtenue par les traitements de l'hépatite
C. Avec la combinaison PEG-interféron/ ribavirine il est possible de faire
disparaitre le virus chez 60% des patients. Cela se traduit par une régression
majeure de la fibrose. Il a même été observé une régression
de la cirrhose entre les biopsies chez 49% des 153 patients
inclus dans 4 essais randomisés. Il s'agit le plus souvent de sujets
jeunes (43 ans en moyenne ; ce qui très différent de la classique
cirrhose décompensée de 60 ans) et qui ont probablement progressé très
récemment vers la cirrhose (Poynard et coll. Gastroenterology 2002
in press).
Ces résultats sont extrêmement encourageants et renforcent l'intérêt du
dépistage précoce.
hepatata
:
Merci de votre collaboration.
En
savoir un petit peu plus / suite
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